Trente ans après le concept de Géographie de la couleur© de Jean-Philippe Lenclos qui établissait le constat des couleurs dans l'architecture traditionnelle des provinces françaises, il est intéressant de prendre en compte les dérives constatées aujourd'hui en matière de coloration des façades. Autrefois, douces et subtiles, liées à la qualité des matériaux locaux, des pigments naturels, des sulfates de fer, du bleu de méthylène, du bleu de cobalt... voire du bleu de lessive, les façades des maisons alsaciennes présentaient des colorations fugaces, douces, patinées car estompables avec le temps. Les façades sont aujourd'hui toujours plus colorées, tant en ville que dans les villages, principalement à cause des nouvelles solutions techniques apportées par les produits industrielles, peintures et enduits. Le phénomène est intéressant car il est général et l'œil avisé saura reconnaître partout cette volonté de toujours plus de couleur, au détriment du charme, de la patine et de la subtilité.
Un distingo religieux
Le bleu tient une place particulière car on le dit associé à un comportement socioculturel, celui de l'affichage, sur la façade de sa maison, de son appartenance à telle ou telle Église, à une religion ou à une autre. Le bleu serait coutumier des villages catholiques, le rouge serait la couleur traditionnelle des villages protestants. Les premières traces du bleu sur des maisons alsaciennes semblent remonter au XVIIe siècle. Le bleu, associé au culte de la mère de Dieu (bleu de Marie, couleur du manteau de la Vierge, bleu céleste...), a pu inonder les façades, à partir des niches à fond bleu accueillant les statues de la Vierge et qui se trouvaient souvent sur les maisons. On rencontre d’ailleurs des maisons bleues dans toute l’Alsace, du Sundgau jusqu’à Wissembourg et de la plaine aux premières collines des Vosges. Il est vrai qu'au XVIe siècle, le curé de Seebach avait procuré des terrains gratuits aux populations, à condition que les futurs propriétaires peignent leur maison en bleu pour manifester leur appartenance à la religion catholique.
Le rouge protestant serait né par opposition à ce repérage des catholiques par la couleur bleue.
Une théorie contreversée
Et pourtant, le Bleu du pays de Hanau ou bleu de Hanau domine dans la région de Bouxwiller qui est essentiellement protestante, ce qui dément la coutume du bleu catholique.
Le bleu n’a donc pas d’existence avérée en tant que symbole religieux. L’expression Bleu de Hanau ou de Bouxwiller ne se justifie pas. L'expression Bleu d’Alsace convient plus justement parce qu'elle est plus globale. Par sa tonalité, c’est un bleu de Prusse.
Le mythe du bleuD’une façon générale, la couleur bleue se prête aux interprétations les plus diverses, à cause de son caractère éphémère. Les Celtes, avant d’attaquer les légions romaines, se barbouillaient de bleu afin d’effrayer leurs adversaires. C’est pourquoi les Romains détestaient le bleu, comme, beaucoup plus tard, les Allemands. Sachant cela, les Alsaciens faisaient repeindre leur maison en bleu. On peut donc supposer que les façades vertes en Alsace étaient celles d'habitants soit d'origine allemande soit germanophiles ou germanophones, donc sans doute protestants. La frontière mouvante entre deux pays revendiquant un même territoire n'est sans doute pas étrangère à cette différenciation de l'architecture par la couleur.
Commentaires
Enregistrer un commentaire